Première femme photographe membre de l’agence Sygma, Marianne a eu dans son viseur d’innombrables personnalités. Mylène Farmer, Juliette Binoche, Carla Bruni, Isabelle Adjani, Catherine Deneuve et bien d’autres … Aujourd’hui dans un cadre plus personnel, elle magnifie d’autres femmes dans une période bouleversante qui renvoie à l’éternel féminin. Dans la plupart des civilisations, les règles des femmes sont à l’origine de nombreuses croyances et tabous. Contrairement au sang conquérant versé par les hommes au combat, le flux menstruel a longtemps été doté de pouvoirs maléfiques. Les croyances ont heureusement disparu mais sa représentation à travers notamment la publicité reste toujours aussi tabou. Marianne ose montrer ce «sang que nul ne saurait voir » dans une surprenante série « The Curse, la malédiction » à découvrir du 8 novembre au 5 décembre !
Qu’est ce qui vous a donné envie d’explorer le thème des menstruations ?
J’étais intriguée depuis mon adolescence par le fait que cet événement physiologique puisse être vécu par certaines filles et femmes comme une épreuve terrible ou honteuse qui se doit d’être dissimulée. Il s’agit d’une exploration de la représentation du sang féminin, telle qu’elle m’apparaît, de mon point de vue de photographe appartenant à une génération qui a eu la chance de grandir dans un environnement relativement dégagé de croyances religieuses, de préjugés populaires et de leurs tabous. J’aborde de façon frontale ou décalée l’intimité féminine, la relation amoureuse, la ménopause, la quête éperdue du féminin chez certains transsexuels, les codes de langage (la lexicologie extravagante dont on fait usage dans toutes les langues pour ne pas le dire).
Comment qualifieriez vous ce sang féminin ?
Les règles sont un signe de vitalité de la capacité de reproduction. C’est un point d’ancrage du féminin mais ce n’est heureusement pas le seul.
Qui a t-il de fascinant pour un photographe de travailler sur un sujet tabou et vieux comme le monde ?
Comment peut on construire une réflexion autour de quelque chose que l’on ne nomme pas et que l’on ne voit pas ? La représentation permet de se poser la question de la beauté. J’ai travaillé également sur le tabou dans le tabou : une série de portraits de femmes au cours des deux premières années de leur ménopause. Je les ai photographiées en leur demandant, après un long moment de silence de déconnecter tous les réflexes de séduction que l’on peut avoir face à un appareil photographique et de se concentrer sur leur propre parcours intime. Elles sont splendides, étonnement jeunes. Si cela peut bousculer un peu les aprioris, tant mieux.
Sur tous les clichés qui composent votre série « The Curse, la malédiction » quel serait le plus intime, le plus compliqué à mettre en scène?
La photographie la plus compliquée à réaliser a été, de toute évidence celle qui représente un couple juste après avoir fait l’amour alors que la femme saignait. C’est une mise en scène symbolique de l’union amoureuse. La plus intime est celle qui traite du passage de l’enfance à l’adolescence au moment de l’avènement des règles. J’ai cherché à montrer la fragilité de cette période qui selon le message qui lui sera transmis sera déterminante dans la façon dont la jeune fille appréhendera l’intimité de son corps.
Comment pourriez vous expliquer que le sang menstruel soit un thème relativement peu exploité dans le domaine artistique ?
Les tabous ont la peau dure surtout lorsqu’ils ont trait à la morale religieuse. Mis à part les travaux de quelques artistes allemands et américains (femmes et hommes) dans les années 70 sur un mode transgressif et plus récemment ceux de Kiki Smith, Louise Bourgeois et quelques autres … il existe très peu de représentations de cet événement de l’intimité féminine qui mis bout à bout occupe quasiment 80 % de la vie des femmes, « la moitié du ciel » comme le disent les chinois. Je ne suis pas théoricienne de la question. Beaucoup de travaux intellectuels en ont traité. J’ai eu la grande chance de pouvoir échanger avec Françoise Héritier et Alain Testart, deux grands anthropologues qui ont longuement travaillé sur le rôle symbolique du sang féminin.
Pourriez vous qualifier cette série comme un acte féministe ?
Oui, humaniste.
Son site : http://www.marianne-rosenstiehl.com
Le petit espace : http://www.lepetitespace.com/op/index.php
15 rue Bouchardon – 75010 Paris
Infos : le 8 novembre la photographe propose à toute femme en début de ménopause de participer au projet et de poser ( entre 11H et 19h) contact : lepetitespace@gmail.com